Lettre ouverte à la Présidente de la Confédération

le 13 mai 2020

Madame la Présidente de la Confédération, Mesdames les Conseillères Fédérales, Messieurs Les Conseillers Fédéraux,

La période actuelle est synonyme de grands chamboulements pour toutes et tous les citoyenn·ne·s de ce pays. Cette crise a demandé des mesures drastiques qui ont altéré le quotidien de bien des gens, mais qui ont eu un effet salutaire sur notre système de santé. Pour cela nous tenons à vous remercier pour vos décisions avisées.

Depuis les premières annonces de limitation des rassemblements à la fin du mois de février 2020 et jusqu’à une date aujourd’hui inconnue, les artistes de Suisse et acteur·trice·s des milieux culturels ne peuvent quasiment plus exercer leur métier. Du moins pas devant un véritable public.

Une partie d’entre elles et d’entre eux ont la possibilité de faire appel au chômage (comédien·ne·s, employé·e·s de théâtres, etc.), car elles et ils sont habituellement salarié·e·s. Ça n’est pas une situation idéale – qui demande toujours de grandes quantités de tracasseries administratives – mais elle permet de survivre.

Or toute une frange des acteur·trice·s de la culture, en particulier les musicien·ne·s, ont un statut d’indépendant·e. Pour elles et pour eux, les circonstances sont bien plus problématiques. Concrètement, certain·e·s ont vu plusieurs manifestations annulées, représentant parfois des dizaines de milliers de francs de pertes sèches. C’est donc avec surprise que ces mêmes personnes ont découvert que les mesures prévues par la Confédération, comme l’octroi exceptionnel d’Allocations pour Pertes de Gains, se chiffraient en des sommes ridiculement basses : plusieurs témoignages font état de 11 à 15 francs par jour (soit moins de 500 francs par mois), voire rien du tout ! Comment peut-on vivre dignement avec de telles sommes ?

En outre certain·e·s ont à la fois le statut d’indépendant·e et celui de salarié·e selon les mandats. Pour elles et pour eux, c’est souvent une double peine car leurs revenus sont insuffisants aux yeux de chacun des organismes de soutiens potentiels (caisses de compensation ou caisses de chômage). La solution des aides d’urgence fédérales et cantonales est bienvenue et pourra peut-être s’avérer utile à certain·e·s d’entre nous, mais elle représente une béquille qui manque de durabilité (particulièrement en regard de l’incertitude qui plane encore sur la reprise des activités culturelles).

Notons de plus que si les artistes salarié·e·s sont protégé·e·s par l’assurance Perte de Gains de leur employeur (souvent une association ou un théâtre), les artistes indépendant·e·s doivent eux contracter leur propre APG, et nous vivons dans un pays où les assurances font la loi et ont le droit de refuser quelqu’un ou de lui imposer des réserves en fonction de son historique médical. Ainsi l’indépendant·e souhaitant bien faire et se protéger n’en a même pas forcément la possibilité. Cette situation doit changer.

Bien entendu, le statut d’artiste est semé d’embûches et la plupart d’entre nous sommes prévoyant·e·s et pouvons faire face financièrement à l’annulation de l’un ou l’autre engagement. Nous ne pouvons en revanche pas survivre à l’interdiction pure et simple d’exercer notre métier durant une période indéfinie ! Nous déclarons des revenus minimes, car nous subsistons toutes et tous avec peu de moyens, cela étant le prix à payer pour vivre d’une passion. C’est pourquoi des contrats (écrits ou oraux) pour participer à des évènements, des spectacles, constituent parfois la possibilité de subsister plusieurs mois avec les recettes glanées. Aujourd’hui tout cela n’est plus envisageable. Les aides proposées ne sont qu’un pis-aller et ne permettent sérieusement pas de faire face à l’urgence de la situation. Baser le calcul des APG journalières sur une décision de taxation et des revenus annuels nets nous semble par exemple particulièrement absurde et peu représentatif de la réalité.[1]

C’est pourquoi nous nous associons pour faire appel à vous, Madame la Présidente, et à vos ministres, pour que le statut d’artiste (indépendant·e, mais pas uniquement) soit bien mieux valorisé dans notre pays. Et pas seulement en temps de crise. Nous vous enjoignons à proposer des dispositions pérennes pour la vie des artistes de ce pays, dont les ramifications économiques représentent une part considérable du PIB national. Parmi les solutions possibles, on peut observer chez nos voisins français le système – perfectible certes, mais ayant le mérite d’exister – d’intermittence du spectacle. Dans tous les cas, la Suisse a besoin d’une solution qui permette de perpétuer sereinement une offre culturelle de qualité. Offre culturelle essentielle sans laquelle une période délicate comme celle-ci serait particulièrement difficile à envisager pour les citoyen·ne·s.

Nous faisons donc appel à votre bon sens, à votre sensibilité et à votre promptitude à agir pour que des centaines voire des milliers d’artistes dans ce pays puissent continuer à exister durant les prochains mois et les prochaines années. Nous ne sommes pas paresseu·x·ses, nous ne comptons souvent pas les heures que nous passons à travailler – nous en voulons pour preuve la créativité toujours à l’œuvre en ces temps étranges. Mais tout travail mérite salaire et ce salaire – dans un pays plutôt en bonne santé financière comme le nôtre – devrait décemment s’élever à un peu plus que 300 francs mensuels.

Nous vous remercions d’ores et déjà pour l’attention que vous porterez à ce courrier et nous vous adressons, Madame la Présidente, Mesdames les Conseillères Fédérales, Messieurs les Conseillers Fédéraux, nos salutations les meilleures.            

Un collectif d’artistes indépendant·e·s.


[1] Exemple concret : avec plusieurs contrats prévus de mars à juin, Madame M. devait recevoir pour CHF 10’000.- de rétributions. Compte tenu de ses charges et de son train de vie peu dispendieux, cela devait lui permettre de voir arriver la fin de l’année avec sérénité (elle compte un peu plus de 2000.- par mois pour vivre). Sur sa déclaration d’impôts, elle déduit ses charges et ne déclare pas CHF 10’000.- nets pour cette période, mais probablement la moitié. Donc a priori guère plus de CHF 15’000.- sur l’année. Se basant sur sa décision de taxation, les APG lui versent alors 30.- par jour, pendant 2 mois. Comment va-t-elle faire pour survivre ?


Presse

  • LFM, 13 mai 2020Interview de F. Jenny et D. Coenegracht
  • Radio Fribourg, 14 mai 2020Interview de J. Lorant
  • La Liberté, 14 mai 2020Article online
  • LFM, 15 mai 2020Interview de J. Lorant
  • Léman Bleu, 17 mai 2020Interview de F. Jenny et D. Coenegracht
  • Redline Radio, 18 mai 2020Interview de F. Jenny et D. Coenegracht
  • RTS La Première, 21 mai 2020Interview de D. Coenegracht
  • L’Echo du Gros-de-Vaud, 22 mai 2020Article
  • Journal de Moudon, 22 mai 2020Article
  • La Télé, 25 mai 2020Interview de F. Jenny
  • Canal9, 25 mai 2020Interview de Tyssa
  • RTS La Première, 28 mai 2020Interview de R. Delay

Réponses de la Confédération

Réponse de l’OFAS le 28.05.2020

Madame, Monsieur,

Madame la Présidente de la Confédération, Madame la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a bien reçu votre courrier et nous a prié, en tant qu’office compétent en matière d’allocation Corona-perte de gain, de bien vouloir y répondre directement. Ce qui nous faisons volontiers.

Vous y exposez la situation des artistes, qui sont touchés de plein fouet par la crise que nous vivons actuellement, et relevez que le montant de l’allocation Corona-perte de gain qui leur est allouée est trop bas.

Notre pays fait face à une crise sanitaire sans précédent. Pour en limiter l’impact économique, le Conseil fédéral a mis en place diverses mesures de soutien, dont l’allocation Corona-perte de gain. Dans un souci d’efficacité de la mise en œuvre et d’égalité de traitement des bénéficiaires, les bases de calcul servant à déterminer le montant de cette allocation est le même pour toutes les catégories d’ayant droit. Ainsi, les artistes indépendants qui, comme vous le relevez, ont en général des gains peu élevés, se retrouvent avec le 80 % de leur revenu annuel 2019 soumis à l’AVS.

Plus spécifiquement, le Conseil fédéral a mis en place des aides pour atténuer les conséquences économiques du coronavirus dans le secteur de la culture. Pour de plus amples informations à ce sujet, nous vous invitons à prendre contact avec l’Office fédéral de la culture (OFC).

Le Conseil fédéral a décidé hier d’assouplir d’avantage les mesures de lutte contre le coronavirus, notamment en autorisant les manifestations publiques jusqu’à 300 personnes. Cette décision devrait permettre au monde artistique de pouvoir redémarrer.

Nous vous prions également de continuer à vous tenir informé des décisions du Conseil fédéral (https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques/communiques-conseil-federal.msg-id-78648.html).

Avec nos meilleures salutations

——

Réponse de l’OFAS à notre message demandant pourquoi un plafond minimal des APG n’avait pas été envisagé, le 03.06.2020.

Monsieur,

Nous avons pris bonne note de votre requête tendant à fixer un montant minimum à l’allocation Corona-perte de gain. Par analogie à ce qui vaut pour l’allocation perte de gain en cas de service, vous demandez à ce que ce montant soit fixé à 62.- par jour.

Le but de l’allocation Corona-perte de gain n’est pas de remercier les citoyens pour leur civisme, mais bien plutôt d’indemniser une perte de gain subie suite aux mesures de lutte contre le coronavirus. En règle générale, les assurances sociales reconnaissent comme compensation convenable du manque à gagner une indemnité se montant à 80 % du dernier salaire. L’allocation Corona-perte de gain applique également ce principe.

Dans un souci de mise en œuvre efficace de cette prestation, ce qui a permis d’effectuer les premiers paiements très rapidement, le système des allocations perte de gain en cas de service et de maternité a été repris autant que possible.

Les allocations perte de gain sont plafonnées, ce qui est également le cas de l’allocation Corona-perte de gain. Par contre, si l’allocation perte de gain en cas de service connaît une indemnité minimale, celle prévue en cas de maternité n’en a pas. Cela s’explique notamment par le fait qu’en cas de service, les allocations sont payées à toute personne qui fait du service, indépendamment du fait qu’elle subisse ou non une perte de gain (p. ex. les étudiants). Il faut effectivement indemniser toute personne faisant du service car dans le cas contraire, cela s’apparente à un travail fourni sans rémunération. Or ceci n’est pas admissible.

L’allocation perte de gain en cas de maternité est quant à elle la réponse directe à une interdiction de travailler et à un congé légal qui provoque une perte de gain. L’allocation Corona-perte de gain répond à ce même besoin : une perte de gain résulte soit directement d’une interdiction de travailler, soit indirectement à cause des mesures de lutte contre le coronavirus.

Avec nos meilleures salutations